Par une morne journée d'hiver

Brand s’arrêta devant l’immense tableau aux couleurs à la fois sombres et vives. Ses yeux suivirent les contours des maisons en feux, au loin, des nuages de fumé s’échappant des toits embrasés dans le ciel à manteau gris. De la ville, partait un large pont de bois qui s’avançait jusqu’au rivage. Il était coupé en son milieu. Au bout de ce pont, se tenait un homme, un arc à la main et qui tirait des traits sur la bête ailée. Car Smaug le dragon était au premier plan de cette sublime peinture. Déployant ses énormes ailes d’une envergure d’environ cent mètres, il crachait des jets de flammes sur l’archer. Sa queue sifflait dans l’air, frappait l’eau, détruisant embarcations.
A chaque fois que Brand passait dans le couloir menant à son bureau, il s’arrêtait devant cette représentation de l’attaque d’Esgaroth par le dragon qui immortalisait l’exploit de son ancêtre, Bard l’Archer. Ce surnom lui vint du fait qu’il terrassa la créature d’une seule flèche. Le descendant de Girion, Seigneur de Dale, était le seul defenseur encore debout lorsque Smaug tomba dans les eaux profondes du Long Lac.
Détournant son regard du tableau, le Gouverneur d’Esgaroth sur le Long Lac fit un demi-tour sur lui-même pour se retrouver face à une fenêtre du palais donnant sur le nord de la ville. Au loin, s’élevait le majestueux Erebor qui, tout au long de l’année, affichait un sommet enneigé. Seulement, en cette rude saison d’hiver, cela ne se remarquait quasiment pas. En effet, les toits de la cité étaient recouverts d’un épais tapis de neige. Les sols étaient blancs que quelques courageux villageois s’efforçaient à nettoyer. Les grands ormes qui, au printemps, se paraient de belles feuilles vertes et de magnifiques fruits rouges en glomérules, se voyaient dénués de leurs attraits et paraissaient bien pauvres. C’était à peine si leur écorce résistait face aux puissants vents glaciers. Par endroits, le Lac gelait. Seul son milieu ne s’était encore endormi bien que la température de l’eau eut été mortelle pour n’importe quel être osait si aventurer. Tout allait au ralenti et l’on attendait impatiemment le retour des beaux jours.
Voilà un mois que son fils était parti et Brand se lamentait tous les jours depuis lors de ne pas l’avoir retenu. Il se souvenait exactement des paroles que tous deux s’étaient échangés devant le palais de la cité avant que le téméraire Gérion, deuxième du nom, ne s’engage sur les routes peu sûres du Rhovanion.

- Tu as tout ce qu’il te faut ? demanda Brand à son fils monté en selle.
- Tout est prêt, père.
- Tu sais, tu n’es pas obligé d’y aller.
- Pour que les Orientaux continuent de parcourir nos terres librement, sans aucun scrupule ?
- Tu as raison… Ta mère aurait été fière de toi, mon fils.

Evitant son regard, Gérion continua :

- Je serai de retour avant que ne tombent les premières neiges.

Puis, donnant un ordre à la quarantaine de cavaliers qui suivait, Gérion descendit en ville, puis par le pont, galopa à travers les terres en direction de l’Est. Brand regarda la troupe s’éloigner pour enfin disparaître de son champ de vision.

Bon nombre de neige était tombée déjà et aucun signe du détachement à la tête duquel se trouvait Gérion. Pis encore ! D’après les postes avancés, les camps d’Orientaux affluaient aux frontières de la province d’Esgaroth. Une menace s’élevait à l’Est. Et bientôt, ses vagues s’abattraient sur les rochers de l’Ouest.
Brand jeta un dernier regard dehors et se dirigea vers son bureau.

- Je l’ai envoyé à la mort.

» Gurdil Gotrek Maître-Nain
» une..."journée normale" de l'Empereur...